Le Piment: un brin d'histoire
Les piments proviennent probablement de Bolivie, où les oiseaux dépourvus de neurorécepteurs ils n'en ressentent pas le piquant dispersaient leurs graines, qui finirent par se répandre en Amérique centrale et en Amérique du Sud. Ils constituaient un aliment très important pour les premiers Américains. Des gravures sur pierre découvertes à Tehuacan (sud-est de Mexico), et à Giutarrero (Pérou), prouvent que l'on mangeait des piments rouges sauvages en Amérique dès 7'000 av. JC. Ces piments furent probablement cultivés dès 2'500 av. JC. Pour les Incas, ils représentaient l'un des quatre frères du mythe de la création: Agar-Uchu ou "le frère Piment rouge".
Dans la péninsule du Yucatan et au sud du Mexique, le Capsicum (voir Index) fait donc partie de la nourriture des habitants depuis des millénaires. Utilisés à l'origine comme épices cueillies dans la nature, les piments prirent de l'importance une fois quils furent cultivés, et constituaient un aliment substantiel au moment du développement de la culture Olmec, aux environs de 1000 av. JC. Vers 550 av. JC. la civilisation Maya avait son système agricole très développé et jusqu'à trente variétés de piments étaient sans doute déjà cultivés.
Nommé chilli en nahuatl (langue locale), le piment était un élément très important de toutes les civilisations précolombiennes (Olmèque, Toltèque, Aztèque, Inca et Maya). C'était une plante alimentaire mais aussi médicale (Aztèques et Mayas), et sacrée (Incas), il servait aussi de monnaie d'échange. Il faisait partie du Tchalcaot, boisson amère à base de cacao et de maïs.
Le piment apparaît dans le Codex Mendoza (manuscrit espagnol composé entre 1541 et 1542 qui fait la correspondance entre les glyphes aztèques et l'espagnol). On le retrouve dans le nom de certains villages, comme impôt payé à la capitale et aussi comme punition pour les enfants... Les shamans (médiums) des communautés précolombiennes utilisaient le capsicum mélangé à du cacao et à du tabac pour entrer dans des transes hallucinatoires, afin de voyager dans les cieux ou les enfers. Aujourdhui, les indiens Cuna de Panama brûlent du piment, afin que la fumée âcre chasse les mauvais esprits pendant les cérémonies de puberté de leurs filles. Ils répandent également une traînée de capsicum derrière leurs canoës pour empêcher les requins de les attaquer, et sont donc les premiers à démontrer les propriétés anti-requins potentielles du capsicum, actuellement prises très au sérieux par les scientifiques.
L'Europe découvre à son tour le piment au XVe siècle, grâce à Christophe Colomb, dès son premier voyage "aux Indes" (1492). Les Espagnols étaient, entre autres, à la recherche d'épices fortes comme on les aiment à l'époque: un poivre ou un gingembre pour relever les plats. Outre la tomate, le cacao, la vanille, les pommes de terre, les haricots et le tabac, les conquistadores firent donc la découverte du piment, en premier lieu dans les îles des Caraïbes: ils y trouvèrent de petites gousses rouges sur des plantes, que les indigènes mettaient dans la nourriture pour lui donner un goût très épicé: "Ils [les indigènes d'Hispagnola] vivent d'une racine nommée Age [l'igname], qu'ils assaisonnement avec une épice nommée Aji [nom indien donné aux piments et poivrons voir Index], et mangent aussi cette dernière avec du poisson et de la viande." Nous dit le médecin de Christophe Colomb lors de sa deuxième expédition "aux Indes".
La première description officielle du "Poivre d'Inde" ne tarda donc pas: "On trouve dans ces îles des arbustes ressemblant à des rosiers; ils portent des fruits aussi longs que la cannelle qui renferment des petites graines aussi piquantes que le poivre. Les habitants des îles et les Indiens les consomment comme nous mangeons des pommes", commente le botaniste et médecin Nicolas Monardes, accompagnant Colomb lors de la seconde expéditions au Nouveau Monde. De son côté Pierre Martyr, qui vint en Amérique avec le Génois en 1493, écrivait: "Il y a d'innombrables types d'Aji reconnaissables à leurs feuilles et à leurs fleurs. Certains sont rouges, d'autres jaunes, violets, bruns ou blanc. Leurs formes et leurs tailles sont infiniment variées". Il est aussi à noter que le capsicum fut la seule plante arômatique que Colomb trouva en Occident: "De nombreux Aji, plus précieux que le poivre noir, ont les feuilles à la plus délicate odeur de clou de girofle que jai jamais sentie", écrivait le Dr. Diego Chanca, qui faisait également partie de la première expédition de Colomb.
On sait qu'au XVIe siècle on cultivait le piment en Italie dès 1526, en Allemagne dès 1542, en Angleterre et bien sûr en Espagne: "Ce poivre des Indes se cultive avec grande diligence partout dans le pays de Castille, non seulement par les jardiniers mais aussi par les femmes en leurs pots, qu'ils les mettent aux fenestres", écrivait Christophle de Coste dans «Des drogues & médicaments qui naissent aux Indes». Le bassin Méditerranéen fut vite une terre fertile pour sa propagation: les marins grecs qui parcouraient la Mare Nostrum sont rapidement entrés en contact avec cette nouvelle espèce, et ont donné le nom de peper ou pipeti, en relation avec le poivre, dont ils croyaient à tort qu'il faisait partie de la même famille, et l'ont répandu partout où ils allaient. Dès lors, le piment s'est répandu dans le monde entier comme une traînée de poudre.
Cette arrivée du capsicum du Nouveau Monde coïncida avec l'invasion des Turcs Ottomans, qui favorisa sa diffusion dans toute l'Europe centrale. Les armées de Soliman le Magnifique conquirent la Syrie et l'Egypte en 1516 et 1517, la Yougoslavie en 1521 et la Hongrie en 1526. C'est d'ailleurs à cette date que le piment est censé avoir été introduit en Hongrie par les Turcs, sous le nom de "paprika": pendant leur invasion, les Turcs lancèrent une nouvelle culture au pays des Magyars, qu'ils appelèrent tout naturellement "Poivre turc" et les hongrois "paparka", variation du mot bulgare "piperka", dérivé du latin "piper" pour poivre. La poudre rouge vif appelée paprika provient des gousses séchées (fruit) de l'espèce Capsicum annuum (voir Index). C'est d'ailleurs le Dr. Szent Gyorgyi, scientifique hongrois qui obtint le prix Nobel en 1937 pour son travail sur la vitamine C, qui découvrit dès 1932 que les gousses de paprika étaient l'une des sources les plus riches en acide ascorbique (vitamine C).
Durant le XVIIe siècle, on voit la première mention du capsicum au pays basque français: il était utilisé aussi bien comme épice que dans le chocolat, comme dans la tradition précolombienne. Chocolat-piment était d'ailleurs une association fort appréciée: "Pour chaque cents de cacaos, comptez deux piments rouges appelés chilparlagua dans la langue indienne, une poignée de graines d'anis, appelées vinacaxlidos, et deux des fleurs appelées mechasuchil. [...] Le cacao et les autres ingrédients doivent être battus dans un mortier de pierre ou écrasés avec une meule que les Indiens nomment metate et réservée à cet usage", lit-on dans «Chocolate or An Indian Drink» du capitaine anglais John Wadsorth.
Pendant les deux siècles suivants le piment, pepper, pipeti, páprika ou peperone a revolutionné la gastronomie des pays méditerranéens. Les cuisines du sud de l'Italie, de la France, de la Grèce, de la Yougoslavie, du Maroc, de Tunisie et d'autres régions ont incorporé, chacune à leur façon, le piment (doux ou piquant) à leurs différents plats nationaux. Il est alors préféré au poivre et au gingembre, qui restent très chers; les classes populaires l'adoptent tout de suite car on le cultive facilement dans la majorité des pays d'Europe, grâce à ses excellentes facultés d'adaptation.
En moins d'un siècle, donc, le piment est dejà arrivé en Afrique du nord et tropicale puis en Chine, en Inde et enfin dans toute l'Asie. Et pour boucler son tour du monde, il est réintroduit aux Amériques, dans ses nouvelles variétés, avec les immigrants (et esclaves) du XVIIe siècle.
Aujourd'hui, on peut sans aucun doute affirmer que le piment est l'épice qui a parcouru la plus grande distance le plus rapidement dans l'Histoire et qui est la plus répandue et la plus utilisée dans le monde. Pour preuve le piment Jalapeño (voir Variétés) dont la demande ne cesse de croître près de 20% par an entre autres pour agrémenter les sauces et plats cuisinés. Ces dernières années, en effet, on retrouve du jalapeño dans les préparations culinaires du monde entier, et en particulier aux Etats-Unis, où il est devenu l'un des condiments les plus vendus, sous forme de sauce, avant même l'indétrônable ketchup... Il est par ailleurs significatif qu'en Inde, en Asie ou encore dans les pays d'Afrique, le palais des autochtones s'est tellement habitué à ce fruit qu'ils en ont oublié que son origine était américaine et se sont persuadés que le piment venait de chez eux!
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