– Le poivre, moteur de l'Histoire –

Lorsque Christophe Colomb jeta l'ancre dans le nouveau monde à la recherche d'épices, il commit deux erreurs importantes dont les effets se font encore sentir aujourd’hui: pensant être en "Inde", il appela les natifs d'Amérique des "indiens", et les territoires y relatifs les "Indes Occidentales"; mais plus grave et impardonnable, il découvrit les piments rouges et les appela "poivre" en pensant, eu égard à leur piquant, qu'ils étaient apparentés au poivre noir, ce qui n'est bien évidemment pas le cas. La famille des piments rouges est appelée "Capsicum" (voir notre dossier Piments) et si elle contient en son sein un "poivre de Cayenne", c'est bien la faute au Génois...

C'est principalement le poivre noir qui fut à l'origine de la plupart des grandes explorations humaines à partir du Moyen Age, y compris la découverte de l'Amérique. En effet, c'est avant tout pour améliorer la saveur de leurs plats, et en particulier pour les relever, que les Hommes se sont coupés en quatre afin de trouver ces fameuses "épices". Et puis il faut bien le dire, ce n'est pas seulement pour améliorer la gastronomie que les grandes explorations ont été conduites, mais bien certainement pour les gains qui résulteraient du commerce des découvertes y relatives...

Le poivre noir fut donc à l’origine du commerce entre l'Amérique et l'Orient et joua même un rôle important au début de la création des Etats-Unis. Le 23 juin 1672, Elihu Yale, premier colon d'Amérique, né à Boston, prit une part active au commerce des épices. Il donna par la suite son nom et sa fortune à l'Université de Yale. Il arriva à Madras comme fonctionnaire de la British East India Company. Il y établit les contacts qui lui permirent d'amasser une fortune dans le commerce des épices. En 1780, Jonathan Carnes rompit le monopole des épices contrôlé par l’Europe en traitant directement avec l'Inde et en rapportant une cargaison d'épices à Salem, Massachusetts. De 1799 à 1846, le poivre, qui valait des millions de dollars, était apporté à Salem par d'audacieux commandants Yankee, qui avaient fondé la marine marchande d'Amérique.

Le poivre devint si important qu'il finit même dans les arsenaux pour mater les populations rétives au bon ordre des choses... Pendant des années, en effet, les organismes de maintien de l'ordre ont utilisé les agents chimiques DM, CN et CS, qui se révélèrent non fiables et contre-productifs: le larmoiement et l'irritation étaient insuffisants pour arrêter des sujets déterminés et extrêmement agités. Non satisfaits des outils et des gaz lacrymogènes à leur disposition, les organismes de maintien de l'ordre entreprirent de rechercher un nouvel agent. Et ils trouvèrent le poivre! Pourtant la chose n'était pas nouvelle, car une étude d'anciens documents a révélé que pendant les 2'500 dernières années, du poivre avait déjà été utilisé comme arme à différentes reprises. Les Chinois utilisaient ce qu’ils appelaient des "bombes puantes", qui consistaient en poivre brûlé dans de l'huile, provoquant une fumée irritante et suffocante. Les Japonais utilisaient du poivre moulu fin qu'ils mettaient dans des sacs de papier fin et lançaient au visage de leurs adversaires pour les aveugler temporairement. Les écoles indiennes d'arts martiaux (qui ont donné naissance à de nombreuses écoles d'Extrême Orient enseignant le combat à mains nues par l'intermédiaire de missionnaires bouddhistes), comme le Kalaripayat, le Vajramushti, le Marman et le Kara-hatse (à l'origine du Karaté) utilisaient également le poivre comme arme de combat.

Côté botanique, le poivre noir est originaire de la côte de Malabar, au Sud Ouest de l'Inde. C'est une liane qui appartient à la famille botanique des Pipéracées. Le grain provient de la baie séchée de cette vigne grimpante ligneuse. Son nom scientifique est Piper Nigrum et il n'a aucun rapport – comme il a déjà été dit mais faut suivre – avec le poivre à gousse qui donne les poivrons doux et les piments forts. On en trouve aujourd'hui dans de nombreux pays de la ceinture tropicale.

Le poivre pousse en grappes. Le poivre vert est un fruit cueilli avant maturité. Il est subtilement épicé, délicatement piquant et d'une grande fraicheur. Il est absent des marchés européens, où on le trouve seulement déshydraté ou mis en saumure. Les grains se colorent de jaune en mûrissant, on les cueille généralement à ce stade de maturité. En séchant au soleil, ils se fripent et brunissent, pour devenir poivre noir. A complète maturité les fruits se parent d'une chatoyante couleur rouge, on les met alors à tremper dans des bassins d'eau de pluie, on les débarasse de leur enveloppe et après un long séchage au soleil on obtient du poivre blanc. Il ne faut pas confondre le poivre rouge (baies matures) avec le "poivre rose", baptisé improprement, car il n'appartient pas à la famille botanique des Pipéracées. Autre abus de langage: le "poivre gris". Il n'existe pas! Il s'agit en fait d'un mélange de poudres de poivres blancs et noirs de mauvaise qualité. Ce produit est donc sans intérêt. A l'instar des huiles et vinaigres, l'utilisation régulière de diverses variétés de poivre enrichit les saveurs de la cuisine. L'usage de ces poivres ne changera pas fondamentalement les goûts des préparations, mais il personnalisera davantage les plats en y apportant une touche d'exotisme et une invitation au voyage. A noter encore qu'il ne faut JAMAIS acheter de poivre en poudre: les arômes du poivre sont subtils et disparaissent rapidement lorsqu'il est moulu. Evitez la cuisson violente du poivre, qui le rend amer et brûlant. Préférez un tour de moulin sur votre plat au moment du service, le geste est élégant et les odeurs enivrantes.

Le Grand Dictionnaire de Cuisine
d'Alexandre Dumas

Poivre

Ainsi que nous l'avons déjà dit dans notre préface, le poivre a toujours été la plus répandue des épiceries connues et la plus employée en cuisine.
Le poivre a été longtemps l'objet d'un très grand luxe, et une livre de poivre était un présent considérable à faire à une personne; on rapporte que lorsque Clotaire III fonda le monastère de Corbie, parmi les différentes denrées qu'il assujettit ses douanes à payer annuellement aux religieux, il y avait trente livres de poivre. Roger, comte de Béziers, ayant été assassiné dans une sédition par les bourgeois de cette ville en 1107, une des punitions que son fils imposa aux bourgeois, lorsqu'il les eut soumis par les armes , fut un tribut de trois livres de poivre à prendre annuellement. sur chaque famille. Enfin, à Tyr, les Juifs étaient obligés d'en payer de même deux livres par an à l'Archevêque. C'étaient, disent les annales de l'Eglise d'Aix, Bertrand et Rostang de Noves, archevêques de cette ville, l'un en 1143, l'autre en 1283, qui avaient imposé cette servitude aux Hébreux perfides. Le poivre, très usité comme condiment, favorise la digestion .
Avant le cubèbe, il était fréquemment employé dans les officines. Dans les pays chauds, on en prépare des liqueurs fermentées excessivement fortes. Comme c'est un stimulant des plus énergiques, on ne l'emploie que modérément dans la bonne cuisine, et les personnes morveuses et impressionnables doivent même s'en abstenir; il n'en est pas de même pour les gens de la campagne dont la sensibilité de l'estomac est émoussée par l'habitude d'une nourriture grossière et a besoin d'être fortement excitée, et le poivre est très propre à produire cette excitation; aussi on en fait un grand usage dans toutes les cuisines provinciales. Il y a trois sortes de poivre: le poivre noir, poivre blanc et le poivre long.

Les amateurs pourront lire le dico complet ICI

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