Le Piment le plus fort? Une mise au point s'impose

  • Pour tout amateur de piments qui se respecte, le célèbre habanero, ou Scotch bonnet, ou encore piment antillais, est sans conteste, et ce depuis la nuit des temps, le plus fort de la famille Capsicum. Pourtant, depuis quelques années ce piment est passé d'épice réservée aux initiés, à condiment pour fillettes en mal de sucres d'orge… En effet, avec ses pauvres 300'000 et quelques unités scoville, comment pourrait-il soutenir la comparaison avec les millions qu'affichent sur l'échelle les derniers nés des producteurs de piment?
  • De fait, depuis le milieu des années deux mille, de nouveaux piments ont fait leur apparition, l'un chassant l'autre à la vitesse grand "V" dans le Guinness des records en tant que piment le plus fort du monde. C'est ainsi que le habanero, autrefois maître de la famille, a laissé sa place à ces nouveaux venus, tous plus puissants les uns que les autres:
  • - Tout a commencé avec l'apparition du Red Savina, un hybride basé sur du habanero trafiqué, qui affiche rien moins qu'un 577'000 sur l'échelle de Scoville, soit près du double que son cousin habanero.
  • - On a vu ensuite des croisements entre le habanero et certains Naga, qui titraient dans les 800'000 unités scoville.
  • - En 2006, c'est le Bhut Jolokia qui voit le jour en Assam (Inde), puis le britannique Naga Dorset - les deux passent le chiffre éloquent d'un million d'unités sur l'échelle de Scoville! Là, on entre dans le vif du sujet.
  • - Quatre ans plus tard, en 2010, le Naga Viper, encore chez Dorset, atteint les 1'359'000… A partir de là, c'est chaque année que le record va tomber!
  • - En 2011, le fabriquant australien de sauce forte Butch Taylor lance sur le marché le Trinidad Scorpion Butch T. qui titre au Guinness 1'463'700 unités scoville.
  • - En 2012, le Trinidad Moruga Scorpion vient détrôner son frère aîné avec un taux de capsaïcine oscillant entre 1'200'000 et 2 millions d'unités!
  • - Mais le record ne fera pas long feu, puisque l'année suivante, en 2013, il sera pris par le Carolina Reaper, affichant une fourchette de 1'600'000 à 2'200'000 unités scoville! Là, on commence à toucher à l'intouchable, puisque ce niveau de capsaïcine flirte avec celui contenu dans les bombes d'autodéfense et qui tournent entre 2 et 5 millions d'unités!
  • Bien entendu, quiconque a un minimum d'esprit critique ne manquera pas de s'interroger sur le fait que dorénavant, chaque année voit un nouveau piment «le plus fort du monde» être cultivé, alors que jusqu'ici on stagnait bêtement au niveau de l'habanero… Est-ce à dire que les manipulations génétiques, qui font déjà le profit des cultivateurs de maïs ou de soja, sont passées par là? Cela semble évident! Parce que ces «piments» ne sont pas découverts, comme ça, un beau jour par hasard, mais cultivés. Par des entreprises. Autrement dit bidouillés. On parle d'ailleurs de «cultivars» de capsicum, et non de simples piments. Pour ma part, je préfère parler de plantes hybrido-ogm-isées, ça me semble plus logique...
  • Quoi qu'il en soit, force est de reconnaître que le piment n'a jamais autant été en vogue que depuis qu'il fait le fier dans le Guinness des records… Auparavant réservé à une (toute) petite frange de la population capable d'en apprécier la force et le goût, tout au moins dans nos pays occidentaux, le voilà devenu véritable bête de foire. Chacun peut aujourd'hui s'offrir, ou offrir à ses proches – pour faire le malin, le guignol, pour frimer, étonner les autres, partager une expérience unique – une bouteille du «piment le plus fort du monde», si-si, je t'assure, avec quelques gouttes tu peux en mourir…
  • Alors piments frais, sauces, graines, pâtes, tasse souvenir ou package VIP, avec nom déposé du piment concerné et avis de copyright bien en évidence sur tout un fatras de merchandising divers, s'arrachent maintenant sur des sites Web spécialisés en produits «HOT». En gros, ça ressemble au classique piège à con, ou attrape-touriste, le parfait modèle de business qui rapporte du lourd à ceux qui savent exploiter la connerie des naïfs! Parce que s'acheter une bouteille de sauce au Carolina Reaper, c'est facile et pas très cher, mais pouvoir en déguster n'en serait-ce qu'une seule goutte sans gerber pendant trois jours, c'est une autre question!
  • À ce propos, c'est là aussi que l'on constate à quel point ces nouveaux piments n'ont plus grand chose à voir avec les «naturels»: traditionnellement, la force des capsicum dispense son lot d'effets classiques (que chacun connaît s'il a un jour dépassé sa limite personnelle), comme la brûlure, à l'avant ou à l'arrière de la bouche, plutôt sur la langue ou contre le palais, puis les larmes, la transpiration, la sensation de chaleur dans tout le corps, avant, bien sûr, les tortillées de ventre et la brûlure en sortie de tubulure le lendemain de bonne heure…
  • Certes, c'est un peu pareil avec les nouveaux piments, mais on y ajoute d'étranges sensations, comme un mal de tête persistant, une sensation de douleur globale dans toute la bouche, la gorge, la fosse nasale. Et puis étonnamment, pas de crampes d'estomac, peu de brûlures d'entrailles, même avec la prise d'une dose qui déchire littéralement la bouche et le palais, pas d'inflammation rectale, mais par contre des brûlures à l'urètre, sensation nouvelle pour un mangeur de habaneros classiques… Au final, ces piments-là ne se comportent plus vraiment comme les autres, car ils ne se contentent pas de brûler, même violemment, mais ils font mal!
  • En tout état de cause, chacun fait ce qu'il veut de ses papilles, mais une chose est sûre: les piments «post-habanero» ne servent pas à grand chose à part se gargariser d'avoir ingéré du feu liquide. Et puis rapporter gros aux commerçants qui ont flairé un nouveau filon porteur de gros sous. L'enjeu est donc de taille, et il faut s'attendre à ce que les records continuent à se succéder, car il reste de la marge, puisque la capsaïcine pure titre, elle, quelque 16 millions sur l'échelle de Scoville!
  • Alors pour ceux qui préfèrent rester dans l'ordre naturel des choses, ils continueront de se brûler les papilles avec l'habanero, qui, bien que volcanique, garde du goût et peut encore être consommé, lui!
  • Les chapitres
    Introduction
    La plante
    Sa composition
    Les vertus
    Echelle de force
    De son utilisation
    Principales variétés
    Historique

    Et pour ceux que ces piments extraterrestres intéressent,
    ils peuvent visiter les sites (et boutiques) des fabriquants:
    le Carolina Reaper, actuel tenant du titre;
    les «Trinidad» de la compagnie australienne de Butch Taylor;
    le Naga Viper britannique de la Chili Pepper Company.

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