L'épopée du Dr Bougrat

Pierre Bougrat est né en 1890. Valeureux combattant de la Grande Guerre, blessé à plusieurs reprises, il est fait Chevalier de la Légion d'honneur. Médecin comme son père, il ouvre un cabinet de médecine générale à Marseille. Marié, mais volage, fêtard, ce qui n’est pas bien, il dilapide son argent au jeu, dans les boîtes de nuit, où il s'affiche avec de nombreuses conquêtes, ce qui n’est pas bien non plus! Son épouse, lasse de cette vie turbulente, obtient le divorce.

Bougrat poursuit donc seul son existence dissolue et, bientôt, ses finances lui font défaut, d'autant plus que la clientèle de son cabinet s'amenuise. Des chèques sans provisions commencent à inquiéter les banquiers; ses amis l'ont abandonné. Pourtant, le dénommé Jacques Rumèbes, connu au front quelques années plus tôt, est un des rares à encore le côtoyer et il lui rend régulièrement visite en tant que patient. Notons en effet que Rumèbes a été gazé pendant la guerre, et le Docteur Bougrat lui administre des calmants par injection, ou, peut être Rumèbes était-il toxicomane, comment savoir, et Bougrat, par amitié, lui procurait-il de la drogue.

Rumèbes travaillait comme comptable dans une entreprise et était entre autres chargé du convoyage des fonds. Le 14 mars 1925, comme à l’accoutumée, Rumèbes a recours aux services de son ami médecin. Dans l'après midi il revient et prétend s'être fait dérober par sa maîtresse pendant sa sieste la sacoche qui contenait le montant de la paie des ouvriers. Il supplie le docteur Bougrat de l'aider. Celui-ci sort, dans l'intention de réunir la somme qui permettrait de sauver le comptable. Il revient bredouille, mais découvre que son ami est mort. Affolé, le médecin camoufle le cadavre dans un placard., détail croustillant qui fit la Une des journaux de l’époque et qui est probablement à l’origine de l’expression populaire "Un cadavre dans le placard". A ce moment, qui aurait pu croire que le docteur Bougrat, acculé par les dettes, à la réputation quelque peu sulfureuse, était innocent, et qu'il n'a pas profité de la situation pour injecter un poison mortel à Rumèbes et s'emparer de l'argent que contenait la sacoche?! C’est ainsi que sa vie bascula du jour au lendemain.

En effet, plusieurs jours après le décès de son ami, Bougrat est arrêté, non pas pour crime, car le cadavre de Rumèbes n'est pas encore découvert, mais pour escroquerie et émission de chèques sans provision. Il est alors emprisonné.

Pendant ce temps, l’employeur et la famille de Rumèbes, inquiets de sa disparition, font appel à la police, qui conclut rapidement que celui ci s'est enfui avec l'argent. Par principe, la police répertorie ses fréquentations. Dans celles-ci figure le docteur Bougrat; par ailleurs, une lettre anonyme adressée à la police accuse Bougrat. Alertée aussi par les voisins incommodés par l'odeur pestilentielle qui provient du cabinet médical, la police perquisitionne et découvre le cadavre de Jacques Rumèbes.

Au cours de son interrogatoire Bougrat s'embrouille dans ses déclarations et donne plusieurs versions contradictoires des faits. Les experts eux, concluent à un accident. Le 29 mars 1927, les jurés de la cour d'assise d'Aix en Provence, condamnent le médecin aux travaux forcés à perpétuité; il ne devra la vie sauve qu'à sa légion d'honneur.

Il est expédié en Guyane en 1928. Les médecins au bagne sont rares, il est donc tout naturellement affecté à l'hôpital de St Laurent, où il bénéficie d'une confortable vie. Le 30 août 1928, Bougrat, en blouse blanche, quitte discrètement l'hôpital et rejoint au bord du fleuve Maroni sept autres prétendants à une évasion mise au point avec la complicité d'un spécialiste local en évasion. Parmi ces hommes figurait un autre prisonnier célèbre du moment: Guillaume Seznec. Celui ci, à sa demande, sera débarqué sur les côtes du Surinam.

Après un périple d'une douzaine de jours en mer, l'embarcation accoste au Venezuela. Là, le Docteur Bougrat offre son savoir au service de la médecine locale. Il est le bienvenu car une épidémie de grippe secoue le pays. Avec dévouement il soigne les malades qui le surnommeront le "docteur miracle". La France, qui a eu connaissance de sa destination, demande aux autorités du Venezuela son extradition ainsi que celle de ses compagnons. Seul Bougrat bénéficiera de la clémence du Venezuela et sera autorisé à y résider. Les autres seront rapatriés en Guyane.

Peu après, s'étant totalement intégré au pays, marié et père de deux filles, Bougrat s'installe sur l'île de Margarita, dans la ville de Juan Griego plus précisément et y ouvre une petite clinique privée. Plus tard, gracié par la France, il refuse de retourner dans son pays d'origine et décède en 1962 à l'âge de 72 ans. Enterré au cimetière de la ville, il est aujourd'hui devenu une figure locale, d'autant plus que beaucoup se souviennent encore de lui comme du "docteur des pauvres".

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