Avec la lomographie, un nouveau mode de vie conquiert la Suisse
Après l’Autriche et le reste de l’Europe, la Suisse est également touchée par un nouveau phénomène, directement inspiré d’un petit appareil photo russe né à Leningrad. Histoire d’une saga des temps modernes.
Avoir un LOMO toujours sur soi est la première règle de tout lomographe qui se respecte. Prendre tout et rien, enclencher sans viser, à main-levée si possible, être rapide et, surtout, éviter de penser. Un nouveau mode de vie est ainsi né, alternatif et anarchisant, dans le sens ou il laisse une entière liberté à l’adepte, réfute toutes les règles, même les plus élémentaires du genre.
L’appareil, quant à lui, est un véritable petit compact, qui gobe n’importe quel film 24/36, à visée non reflex – c’est important pour conserver l’«à-peu-près» cher aux lomographes – à l’objectif fixe de 32mm et à mise au point manuelle en 4 paliers de 0,8m à l’infini.
Instantanés, mal cadrés, flous, saturés, sur ou sous-exposés, les clichés lomographiques se doivent d’être avant tout sans prétention, ludiques et décalés. D’aucuns trouvent l’appareil moche, démodé et ringard, mais qu’importe: le Lomo est un art de vivre, une façon de réfuter les bienfaits incontournables de la haute technologie, une manière d’affirmer son insouciance et sa liberté.
Au début il y avait le «Leningradskoïe Optiko-mecanitcheskoïe Obiedinenïe», une firme soviétique spécialisée dans les appareils optiques depuis les années ‘30.
A la fin de 1981, la question s’est posée, en Russie, de créer un appareil de photo miniaturisé avec exposition automatique. C’est Igor Kornitski, vice-ministre de l’industrie de l’armement de l’URSS, qui fut chargé du projet. L’élaboration de l’appareil, quant à elle, fut confiée à Mikhaïl Kholomianski.
En 1983, la firme, alors dévouée aux besoins optiques de l’armée, passa à la production en série du LC-A (Lomo Compact-Automat). Le premier lot, de 6’000 pièces, fut remis aux membres du XVIIe Congrès du PC de l’Union Soviétique.
Petit, solide, pas cher, doté de fonctions de base automatisées, d’une excellente optique et d’un grand angle de 32mm, le LOMO-Compact fut vite un grand succès populaire. Mais la chute de l’Empire soviétique et son corollaire, l’invasion de produits d’importation, modifia la donne: produit sans interruption depuis son lancement, le LOMO semblait voué à une mort inéluctable. On cessa donc la fabrication des pièces, dans la première moitié des années 90, tout en poursuivant le montage des appareils, étant donné le stock des pièces encore disponibles.
Et puis l’histoire entama son volet occidental: Messieurs Wolfgang Stranzinger et Matthias Fiegl, étudiants autrichiens, découvrent un LOMO d’occasion dans un marché aux puces de Prague. Conquis par l’appareil, son look et sa simplicité, ils réinventent ce qu’avant eux beaucoup avaient déjà fait: laisser l’imagination seule aux commandes, sans règles ni contraintes, à la manière de dada.
Très vite, les deux compères font des émules et, sous le titre ronflant de «Lomographic Society», fondent à Vienne les bases d’une nouvelle branche de ce qui s’apparente déjà à un phénomène de société: la lomographie.
Le nouveau concept, jeune et urbain, séduit rapidement les milieux branchés de nombreuses villes européennes. Mais si la mode commence à faire son trou, particulièrement au travers d’expositions des meilleurs clichés du genre, la rareté des appareils limite son développement.
Dès lors, les deux Autrichiens n’auront de cesse de tenter de convaincre le «Leningradskoïe Optiko-mecanitcheskoïe Obiedinenïe» de leur vendre des LC-A. Mais les Russes, croyant certainement à une mauvaise blague, ne donnent pas suite à la première demande, ni aux suivantes. Les deux jeunes finissent par se rendre à Saint-Pétersbourg, mais les dirigeants de la firme ont bien du mal à prendre au sérieux ces gamins occidentaux dont ils ne comprennent décidément pas la démarche. Il faudra beaucoup de patience et d’acharnement pour convaincre la société russe de relancer la production.
Contre toute attente, donc, Wolfgang Stranzinger et Matthias Fiegl ont ainsi signé, en 1996, un contrat qui leur donne l’exclusivité mondiale pour la vente du petit appareil photo chéri des Soviétiques!
Depuis, la Société Lomographique de Vienne s’est implantée dans 36 pays, dont la Suisse, et a ouvert soixante «ambassades» pour promouvoir ses nombreuses activités: «Lomolympiades», nuits du Lomo, «Lomo-rallyes», «Lomo-events» ou encore expositions avec murs de lomo-clichés.
Le site Internet officiel est très dynamique, avec une boutique en ligne, des news toutes fraîches et de nombreux services proposés aux membres (c’est gratuit), comme un labo qui permet de télécharger et de bidouiller les très nombreuses images lomos organisées en galeries.
Accessoirement, on notera que la Société Lomographique a passé une commande de 550’000 LOMOS d’ici 2015...
Du coté russe, Natalia Konstantinova, chargée de communication du «Leningradskoïe Optiko-...», précise qu’un tel engouement est tout bénéfice pour sa société: «nous ne regrettons pas d’avoir fait confiance à la Société Lomographique, qui diffuse et fait connaître nos produits à travers le monde. Chez LOMO, poursuit-elle, on est parfaitement conscients que l’appareil doit aujourd’hui son succès à ce nouveau style de vie, qui génère directement 90 places de travail. L’appareil lui-même ne constitue d’ailleurs qu’une petite partie de notre production globale qui est, principalement, consacrée à des appareils optico-mécaniques et optico-électroniques de haute technicité, comme par exemple des microscopes, des endoscopes souples, des lasers sans risques pour les yeux, des télescopes et instruments de vision nocturne, des télescopes, des instruments spectraux, des instruments destinés à l’armement.»
Les lomographes de Vienne ont donc le vent en poupe et leurs projets se multiplient comme des petits pains. Ils ont d’ailleurs découvert, en Chine, un autre appareil qui permet de prendre quatre images décalées d’une fraction de seconde sur la même photo, ce qui donne des résultats étonnants et surtout totalement «lomotypés»; la voie est aujourd’hui ouverte à tout ce qui peut devenir «lomo-compatible».
Les lomographes revendiquant une absence de stratégie commerciale, les appareils ne se trouvent que sur Internet, sans publicité et via un circuit de distribution bénévole, assuré par les membres actifs.
Reste à savoir si le succès croissant du phénomène parviendra à éviter la dérive commerciale...

Sites Web: www.lomo.com, www.lomo.ru et www.lomo.ch