«Ce qui me plaît le plus, chez Poutine, c’est qu’il ne boit pas...»
C’est le samedi 19 janvier dernier que le groupe de rock DDT s’est produit à Zurich, pour un unique concert en Europe, achevant ainsi sa dernière saison de superbe manière, après une tournée triomphale aux Etats-Unis et au Canada. Interview exclusive de Youri Chevtchouk, leader du groupe avant le concert.
Comment se fait-il que le seul concert européen de DDT se fasse en Suisse?
Rien de bien spécial: nous venons toujours avec plaisir là où des gens chaleureux nous invitent. Or, c’est tout simplement à Zurich que s’est trouvée une équipe organisatrice qui nous a plu.
Connaissez-vous déjà la Suisse, si non quelle image en avez-vous ?
Non, je n’y suis encore jamais venu. Mais pour moi ce sont les Alpes, Zurich, le lac Léman, Genève, de magnifiques villages de montagne, un air pur, des clichés bien sûr! Dans le genre il y a aussi les banques suisses, Lénine à Zurich, qui a tenté de faire une révolution mondiale, mais sans réussir, semble-t-il (rire)... Une paix immuable, une île au milieu des guerres européennes; la Suisse est un navire qui n’a jamais sombré dans ces cataclysmes et je suis curieux de découvrir ce merveilleux pays.
Lors de votre tournée, vous avez rencontré beaucoup d’émigrés. Quelle est votre regard sur la diaspora russe ?
Par chance, ce sont les meilleurs qui viennent à nos concerts, pas trop le genre «m’as-tu-vu», marchands pleins de fric! C’est une joie de voir en face de soi des yeux pleins de candeur, des regards purs... J’ai remarqué que lors de nos concerts les gens faisaient souvent connaissance entre eux, cela créé des liens. En fait, nos concerts génèrent une forme de dialogue avec le public; c’est très important pour moi.
Comment définiriez-vous votre style?
Notre musique a beaucoup de composantes: jazz, rock, populaire, folklorique, tchastouchki (folklore satirique)... Nous trouverions ennuyeux de nous enfermer toujours dans le même genre et il n’est pas important d’avoir un style bien défini. Notre groupe est souple, nous innovons et recherchons toujours de nouvelles formes. Nous aimons porter un regard ouvert sur la musique.
Quelles sont vos influences?
Tout nous influence. La base c’est la culture mondiale, l’art, la littérature. Un côté intellectuel – je suis un homme à lunettes (rires) – me porte à lire et à réfléchir sur la vie. J’aime la vie dans toutes ses manifestations, car elle est passionnante. S’engager dans tous les aspects de la vie a un effet libérateur. J’aime les philosophes religieux russes, Soloviov, Berdiaev; j’aime Dostoïevski. Je n’ai pas d’auteur de prédilection, de guide, de maître à penser. Le seul livre que j’ai toujours sur ma table est la Bible. C’est un livre merveilleux!
Vous vous êtes fortement impliqué lors de la 1re guerre en Tchétchénie; suite aux attentats et aux représailles américaines, votre vision de cette guerre a-t-elle changé?
Non, mon point de vue n’a pas changé. En revanche je constate qu’il y a des choses qui ont changé dans le monde. Aux Etats-Unis, les gens ont perdu cette impression de sécurité qu’ils avaient auparavant. Cela les a obligés de se remettre en question. Cependant, je n’approuve pas les méthodes actuelles de lutte contre le terrorisme. Ce qui est valable pour l’Afghanistan, l’est aussi pour la Tchétchénie: c’est toujours la population civile qui souffre des guerres.
Vous considérez-vous comme un chanteur engagé?
Je ne pense pas avoir l’envie ni la capacité de donner des leçons. En revanche, un concert est toujours l’occasion d’un dialogue, un choc des opinions, une réflexion sur ce qui se passe dans le monde. Et cette réflexion fait nécessairement naître des idées.
Que pensez-vous de la politique russe actuelle, et en particulier de Poutine?
Ce qui me plaît le plus, chez Poutine, c’est qu’il ne boit pas, qu’il travaille beaucoup, qu’il œuvre sur la création et le renforcement d’un pouvoir «vertical», c’est-à-dire fort et direct. En fait, il remet de l’ordre dans le pays et cela est essentiel. Cependant, j’exprime des réserves quant à sa politique tchétchène: au lieu de prendre des décisions sensibles et humaines, pour résoudre les problèmes il a choisi d’utiliser la force des canons, ce qui amène toujours à refouler les problèmes au lieu de les régler. La situation est d’ailleurs identique sur ce plan en Afghanistan, où nous nous sommes finalement simplifié la vie. Je trouve que l’humanité manque aux hommes; quand ils sont convaincus d’avoir raison, c’est là qu’ils deviennent fanatiques. Pour revenir à Poutine, il est normal qu’il y ait des choses qui me plaisent et d’autres moins. Etre critique c’est le fondement même de la démocratie.
En ce qui concerne votre actualité, vous allez bientôt sortir un nouvel album...
Oui, mais en fait nous avons une pratique bien à nous, qui consiste à jouer d’abord nos nouveaux morceaux en concert. C’est comme cela qu’ils prennent forme, qu’ils sont testés, au rythme des nouveaux arrangements et du dialogue avec le public.
Fin novembre 2001 vous avez participé à Saint-Pétersbourg à un concert sur l’histoire du rock russe; qu’est ce que cela fait d’être déjà entré dans la légende?
J’essaie de ne pas y penser! Je ne me contemple pas dans un miroir, je ne suis pas de ceux qui écrivent leurs mémoires. Je suis comme je suis. Le poète Brodski a dit: «Ce n’est pas ce que l’auteur a fait qui est important, mais ce sur quoi il réfléchit en ce moment.»