Art contemporain à Venise
Du 4 juin au 4 novembre 2001, la Biennale d’art contemporain de Venise prend ses quartiers dans les pittoresques jardins publics de Castello, où sont rassemblés les travaux de nombreux artistes venus des quatre coins du globe. Chacun d’eux se doit d’illustrer le thème de cette année à sa manière. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, la liberté artistique des participants ne se trouve nullement limitée par la contrainte du «sujet imposé», car la formulation de ce dernier, «Plateau de l’Humanité», est délibérément floue et se prête aux explorations les plus surprenantes. Situé entre le pavillon japonais et celui du Venezuela, le pavillon russe est animé par Sergei Chutov, Olga Chernycheva et Léonid Sokov.
Si l’on juge de la réussite d’une œuvre par l’effet de surprise qu’elle produit sur le visiteur, «Abacus 2001» («Chapelet 2001») de Sergei Chutov est incontestablement un succès. A peine franchi le seuil de la salle d’exposition, le visiteur est accueilli par une vision totalement inattendue: sans répit, un groupe de figures agenouillées et drapées de noir s’inclinent jusqu’au sol. Ces mouvements mécaniques et répétitifs représentent le rituel de la prière, interprétation confirmée par la bande sonore, reproduisant d’incessantes incantations religieuses en diverses langues. En outre, sur les écrans télévisuels, situés dans les coins de la salle, défilent des extraits de textes sacrés rédigés en de nombreux alphabets. Inévitablement, l’assourdissante cacophonie et la diversité des scriptures vous donnent l’impression d’avoir atterri dans une tour de Babel.
Au contraire, les figures noires agenouillées au milieu de la salle se distinguent par leur homogénéité, chacune étant l’exacte réplique des autres. Au moyen de ce contraste entre l’identité des figures et la diversité des langues les accompagnant, Sergei Chutov interroge la question d’appartenance, quelle soit religieuse ou nationale, et montre que la notion d’identité est un facteur tant d’union que de désunion.
Pour sa part, Olga Chernycheva présente une série de photographies et d’objets, réunis sous le titre «Deuxième vie», qu’elle consacre au thème de la fourrure. Toutes les photographies exposées ont été prises, en hiver, dans les souterrains du métro moscovite où il est parfaitement normal de porter de la fourrure. Cependant, ayant été prises en gros plans, les photographies rappellent plus le gîte souterrain d’une taupe qu’un environnement citadin. L’accompagnement sonore, reproduisant des sifflements d’animaux sauvages et d’étranges couinements, fait d’ailleurs clairement allusion au monde sylvestre. De cette manière, Olga Chernycheva met en parallèle le monde urbain de la capitale russe et la vie de la nature.
Le troisième artiste à représenter la Russie est Léonid Sokov, connu du public genevois grâce à une exposition présentée au Palais des Nations en 1999. Lors de cette quarante-neuvième édition de la Biennale de Venise, Léonid Sokov propose au public l’installation «Royaume des ombres». Des reproductions miniatures de sculptures connues sont placées sur trois étagères tournant autour de l’axe les supportant. Un judicieux éclairage permet de projeter l’ombre des sculptures sur les murs de la salle et de suggérer ainsi la nature illusoire de l’art.
Sarah Ossipow