Enfin une excellente biographie de Bakounine
Qui dit anarchie aujourd’hui, et depuis près d’un siècle, pense «désordre» pour le moins et «terrorisme» pour le pire. Or, si cela était vrai pour de célèbres figures comme Kropotkine, Ravachol ou Bonnot, qui prônaient la destruction de la société sans rien apporter de constructif en remplacement, rien n’est moins vrai pour Mikhaïl Bakounine, philosophe et théoricien peu connu du grand public, qui a toujours dispensé avec générosité ses idées révolutionnaires et condamné le recours au terrorisme.
Dans cette biographie mouvementée qui retrace la vie et le destin rebelles de cet aristocrate russe, romantique et toujours prompt à se passionner pour une cause révolutionnaire, on découvre un géant débonnaire à la plume prolixe, qui partagea ses ambitions avec les célèbres intellectuels qu’étaient Alexandre Herzen et Nicolas Ogarev. Bénéficiant de l’aide financière de ces derniers et des nombreuses connaissances qu’il intéressait à sa cause, Bakounine vécut aux crochets de ses proches afin de produire encore et toujours des textes touffus et enflammés qui furent le reflet des ses idéaux.
Considéré comme le père de l’anarchie, avec le Français Prou-dhon, Bakounine n’a eu de cesse de parcourir l’Europe en fusion de ce XIXe siècle pour dispenser ses théories et tenter d’apporter sa vision de la société à une révolution qui aurait bien voulu de lui. Son credo: amoureux fou de la liberté sous toutes ses formes, Bakounine voulait offrir à l’humanité un modèle de vie en société qui respecte les droits fondamentaux de chacun, dans une fédération de peuples exempte d’Etats.
Or, la tâche ne fut pas facile: d’abord il lui fallut fuir la Russie, puis les espions du tsar qui tentaient de lui mettre la main dessus. Ensuite, il y eut sa très mauvaise santé, amoindrie encore par les années de cachot à Saint-Pétersbourg, puis il y eut surtout sa rivalité avec Karl Marx, qui voyait en lui une figure forte qui lui faisait concurrence. Dans la Ire Internationale, Bakounine s’oppose en effet à la conception autoritaire et étatique de Marx; il sera le premier grand exclu de ce qui deviendra le Parti communiste, et le premier à prévoir avec une surprenante lucidité ce que sera le «communisme réel», lorsqu’il déclare sans ambage: «Asservissement politique et exploitation économique des masses. L’Etat marxiste sera d’autant plus despotique qu’il s’appellera Etat populaire...» Propos de visionnaire s’il en est!