Nessim Gaon, l’homme qui pourchasse la Fédération de Russie
Méconnu du grand public, Nessim Gaon s’est mieux fait connaître lorsque ses avocats ont tenté de saisir le magnifique voilier-école Sedov en juillet 2000, puis deux avions militaires au salon du Bourget en juin dernier.
L’homme, né en 1922 au Soudan, a notamment prêté son jet privé – qu’il ne possède plus depuis que ses banquiers ont fait main basse dessus – à Mikhaïl Gorbatchev pour que celui-ci puisse se rendre en Israël voici un peu plus de dix ans déjà. Sa compagnie Noga d’Importation et d’Exportation avait aussi su tisser des liens dans l’ex-URSS, afin d’y construire de petites usines. Bref, rien de surprenant à ce que ce Monsieur parvienne à signer de gros contrats début 1991 avec l’URSS. A l’époque, les magasins sont vides. Le gouvernement soviétique veut importer des produits de première nécessité.
Nessim Gaon va alors jouer les garants pour l’Etat russe auprès des banques occidentales. En avril 1991, le premier vice-président du Conseil des ministres de la Fédération de Russie, le ministre de l’agriculture Guennadi Koulik, signe un premier accord avec Noga.
Ce dernier avait déjà monté des opérations avec le Genevois, notamment le développement à large échelle de la culture des tomates en Crimée, avec l’appui technique de spécialistes israéliens. Ce contrat prévoyait que Noga s’engage à accorder des crédits pour un montant de 422,5 millions de dollars. Il s’agit en fait d’ouverture d’accréditifs au nom de fournisseurs en Russie d’aliments, de marchandises durables, d’équipements pour les usines produisant des aliments pour bébés, achetés par les organisations de commerce extérieur soviétiques (ultérieurement russes).
Le remboursement de la dette devait se faire par acomptes moyennant des livraisons de pétrole, de mazout et de gaz par les sociétés Rosnefteprodukt, Soyuznef teexport et Rosniefteimpeks à la société Noga. Les fonds reçus par Noga de la vente de ces produits pétroliers devaient être mis en compte de garantie à destination spéciale du gouvernement. Noga avait le droit de retirer cet argent, conformément aux délais de remboursement de la dette. Le 23 août 1991, tout juste après une tentative de coup d’Etat, les mêmes parties ont signé un complément portant sur 50 millions de dollars. Et trois mois plus tard, la ligne de crédits a encore été augmentée de 500 millions de dollars.
Et finalement, le 29 janvier 1992, le deuxième accord était signé avec les ministères de l’Agriculture, des Finances et de l’Economie. Il concernait alors le financement des livraisons de pesticides et d’herbicides, aussi pour l’acquittement des dettes de l’ancien gouvernement envers les fournisseurs pour les produits chimiques déjà livrés. Le total des crédits en jeu s’élève à environ 1,4 milliard de dollars. Cet accord était sans précédent. Le Gouvernement russe renonçait à son immunité souveraine et s’exposait au risque d’une saisie de ses avoirs à l’étranger.
Mais en avril 1992, la Rosnefteprodukt a suspendu ses livraisons de pétrole, puis la Sojuznefteexport a réduit, puis suspendu à son tour ses livraisons. Le 14 décembre 1992, Nessim Gaon écrivait à Viktor Tchernomyrdine pour lui réclamer 229 millions de dollars. Ce dernier trouve alors un arrangement avec Gaon: nous vous versons 30 millions de dollars et 400’000 de tonnes de pétrole et vous renoncez à toute poursuite judiciaire contre le Gouvernement russe. L’argent sera bel et bien versé, ainsi que 27 tonnes...
Entre-temps, les audits menés par Price Waterhouse changent la donne. Alexandre Chokhine, vice-premier ministre de 1991 à 1994, chargé alors du litige avec Noga, raconte dans son livre intitulé La dette extérieure: «Les auditeurs indépendants sont venus à la conclusion que: premièrement, Noga a en fait accordé des crédits non pas pour une somme de 1,4 milliard de dollars, mais en réalité de 570 millions. Deuxièmement, le Gouvernement russe n’avait pas de dettes envers Noga. Mais au contraire, il a livré en extra des produits énergétiques pour la somme de plus de 120 millions de dollars.»
Chokhine affirme même: «Il est devenu tout à fait évident que le schéma contractuel contenait des défauts essentiels permettant à la société Noga, ainsi qu’à ses partenaires, d’entreprendre des machinations. Avant tout, cela concernait la possibilité du contrôle par la partie russe de la somme du crédit accordé en réalité par la société.»
Rappelons que le 1er février 1997, l’Institut d’arbitrage de la Chambre de commerce de Stockholm a rendu une sentence partielle dans ce litige. La Russie a été condamnée à payer la somme de 23,057 millions de dollars, augmentée d’intérêts et frais divers. La Russie est également sommée de rembourser à Noga les montants que celle-ci pourrait devoir à certaines agences russes. A ce jour, pas un centime n’a été remboursé.
Serge Guertchakoff