Rencontre avec le chorégraphe Boris Eifman | ||
Nommé chorégraphe officiel de la prestigieuse Académie Vaganova de Saint-Pétersbourg en 1970, Boris Eifman quitte son poste afin de fonder sa propre compagnie en 1977. Son travail chorégraphique se distingue par la valeur philosophique quil attribue à la danse, tout en cultivant une gestuelle dune grande expressivité émotionnelle. Parmi ses nombreux ballets, citons Le Duel daprès Kuprine, Le Maître et Marguerite inspiré par Boulgakov, Les Assassins daprès Zola, Les Frères Karamazov, Le Hamlet russe, Gisèle Rouge et bien dautres encore. Interview.
Quand avez-vous commencé à réaliser des chorégraphies ? Jai commencé à mettre en scène des ballets à treize ans, alors que jétais encore à lécole. Ensuite, je suis entré au Conservatoire de Leningrad et cest à cette époque que je me suis mis à réaliser des ballets pour diverses institutions: lAcadémie Vaganova, le Kirov, le télévision et dautres. Avec ma propre compagnie jai pu développer mes idées, qui étaient en marge des canons stylistiques officiels. Votre style se distingue du ballet classique. Connaissiez-vous alors le travail de chorégraphes tels que Martha Graham ou Béjart? Je connaissais juste Martha Graham de nom, mais ce nest que récemment que jai vu des enregistrements sur video. Pour Béjart, je connaissais quelques fragments. Lorsque jétais jeune, il nexistait que très peu dinformations au sujet des chorégraphes travaillant à lOuest. Quand jai fondé ma compagnie, mon idée principale était de développer la tradition du ballet-théâtre russe. Je voulais ramener le ballet et la danse dans lespace théâtral. Je cherchais à créer un spectacle dans lequel on puisse développer de nouvelles possibilités pour la danse en tenant compte de sa spécificité, qui est dêtre un art à la fois émotionnel, énergique et philosophique. Nest-il pas contradictoire de vouloir allier le rationnel et lémotionnel? Pas pour moi. Je naime ni les émotions insensées, ni la pure et froide raison. Au contraire, japprécie la combinaison de ces deux principes, lorsque les émotions sont capables dinspirer la raison et lorsque cette dernière permet de bien travailler à partir des émotions. Vous êtes souvent inspiré par des uvres littéraires. Quelle est votre approche des textes? Les textes littéraires forment un système didées qui mest proche, mais je ne cherche pas à illustrer les uvres auxquelles je madresse. Dans mes ballets, je crée un univers qui mest propre et qui ne dépend pas du texte. La chorégraphie nest reliée à luvre littéraire que sur le plan de la conception. Etant donné que le langage de mon art est totalement différent, les chorégraphies inspirées par la littérature sont de nouvelles uvres, dont le lien avec les textes initiaux ne sont que symboliques. Vous comparez parfois lactivité du chorégraphe à celle dun chamane... Cette comparaison est liée à ma conception du corps comme un instrument qui renferme des virtualités autant bienfaisantes que malfaisantes. Si lon est capable de travailler avec cette force, il devient possible davoir un puissant pouvoir daction sur les gens. Cest pourquoi je considère que la possession dune telle force est semblable au chamanisme. On vous compare souvent à Béjart. Com-ment réagissez vous à cela? Nous sommes très différents. Ceux qui nous comparent sarrêtent sur des similarités purement externes, bien que je partage sa compréhension de la danse comme étant un art philosophique. |
||
Propos recueillis par Sarah Ossipow
|