Musique liturgique russe enregistrée à Genève
Le chœur de l’église russe de Genève publie son troisième disque, le deuxième sous la direction d’Alexandre Diakoff.
«Pâques» est l’empreinte fidèle de ce qu’est le chœur de l’église de l’Exaltation de la Sainte Croix de Genève. Les chants de la plus grande fête de l’Eglise orthodoxe y sont donnés dans l’ordre liturgique, en commençant par le repentir du grand carême, puis la semaine de la Passion, vendredi saint et enfin le triomphe pascal. Ainsi, c'est l'ordre de l'évolution historique qui est rompu car des pièces de styles différents se succèdent comme lors des offices religieux: composées par Wladimir Diakoff, Dimitri Bortniansky, Rimsky-Korsakov, du chant znamen ancien à l’unisson, un solo interprété par Alexandre Diakoff, des passages en chœur d’hommes et des trios de femmes, tout l’éventail de la musique liturgique russe y est représenté.
Maître d’œuvre de ce troisième disque de l’église russe de Genève, Alexandre Diakoff a repris la direction du chœur en 1993. Il succédait ainsi à son frère, qui succédait lui-même à leur père. Bien que chanteur soliste de carrière de musique profane, il a donné une empreinte plus spirituelle à son chœur, soucieuse du mystère liturgique. Il a également dirigé un chœur d’hommes et a participé activement à l’enseignement du chant liturgique dans le diocèse d’Europe occidentale.
«Pâques» a été enregistré dans l’église russe mais pas lors des offices, donc sans l’intervention orale du clergé, habituelle à une liturgie. Cette forme dénudée rappelle que nous n’entendons sur le disque que l’aspect musical des chants sacrés, dont le lieu naturel est l’office divin.
A sa conversion à la foi chrétienne en l’an 988, la Russie a repris la tradition du chant byzantin pour son Eglise. Cette tradition musicale, intimement liée au déroulement codifié et très élaboré de la liturgie orthodoxe, évoluera constamment d’une manière propre à la Russie, mais aussi en se conformant aux mouvances de la musique européenne. Ainsi le XVIIIe siècle voit venir l’influence italienne ressentie jusqu’à nos jours comme une perte de la tradition pieuse originelle de l’Eglise russe. Le XIXe siècle voit le retour de mani-velle avec tout d’abord une in-fluence allemande, puis une vo-lonté grandissante d’authenticité russe et orthodoxe. Cette dernière vague, tout comme – paradoxalement – cel-les qui l’ont précédée, revendique la continuité de la mémoire en réintroduisant des chants que la pratique précédente avait délaissés, mais en les adaptant à l’esprit de l'époque. Ainsi, on harmonisera et chantera en chœur polyphonique des mélodies qui étaient à l’origine à l’unisson.
C’est dans cet élan de retour aux sources que l’Eglise russe a été surprise par la révolution bolchevique. Une liberté de culte plus grande, dont la société russe de l’émigration a joui par la suite, lui a permis de poursuivre cet élan. L’église de Genève est l'un des lieux de cette continuité historique avec ses directeurs de chœur, dont Wladimir Diakoff qui assuma cette charge pendant plus de 40 ans à partir de 1937. Cependant, le chant de l’église de l’Exaltation de la Sainte Croix a une histoire plus ancienne que celle de l’émigration du XXe siècle. Dès la construction de l’église en 1866, les autorités russes avaient nommé des prêtres et des psalmistes-chefs venus de Russie. W. Diakoff et ses deux fils, qui lui ont succédé comme chefs de chœur jusqu’à maintenant, sont les descendants de ce clergé, genevois depuis le XIXe siècle. On peut donc dire que le chœur de Genève s’inscrit autant dans la lignée de la diaspora russe de tous les temps que dans celle de l’émigration à proprement parler. Les choristes, eux, ont toujours été recrutés parmi des chanteurs de niveau professionnel, résidant en Suisse. Le chœur a une tendance plus mondaine que la paroisse de Genève: il ne chante que pour la liturgie du dimanche et les grandes fêtes, laissant la semaine et les vigiles du samedi au «petit chœur» formé d’ecclésiastiques et de paroissiens et par opposition auquel il est couramment appelé le «grand chœur». Il a souvent participé au fil de l’histoire à la vie culturelle laïque de la Suisse romande par des concerts de musique d’église ou profane, comme en 1915 au premier concert dirigé par Ernest Ansermet à Genève, aux Ballets russes de Serge Diaghilev ou, plus récemment, la cantate Alexandre Nevsky de Prokofiev, sous la direction de Rostropovitch.
«Pâques» sera en vente dès cet automne à l’église russe de Genève, ainsi qu’au magasin «Très Classic», rue du Diorama à Genève.