Deux regards croisés sur le nouveau projet de loi concernant les déchets nucléaires acceptés par la Russie.
Un des initiateurs du projet, Evgueni Velikhov est vice-président de l’Académie des Sciences russe et président de l’Institut Kourtchatov, spécialisé en recherche nucléaire.

Certains spécialistes prétendent que juste pour nettoyer le territoire de nos propres déchets il faudra beaucoup plus d’argent que n’en rapportera l’importation, qu’en pensez-vous?
Non, ce n’est pas vrai. Dans le même temps que nous enterrerons 10 containers de nos déchets nous n’en n’importerons qu’un seul de l’étranger. Le résultat sera positif si nous pouvons enterrer plus que l’on importe. Si le résultat s’avérait négatif nous stopperions l’importation.
Que peut on faire avec nos déchets déjà enterrés ou immergés?
Il faut les sortir du sol et les conditionner pour un stockage sans risque.
Comment pouvez-vous être sûr que la technologie de stockage et de recyclage est fiable?
Si l’on vous dit que la technologie existe, c’est que c’est vrai! Et à la question de savoir si elle est bien exploitée, la réponse est oui. Nos usines sont ultra-modernes, hautement sécurisées et parfaitement équipées. Par ailleurs, si l’on ramassait tous les déchets de l’industrie nucléaire de la planète depuis sa création, nous obtiendrions un cube de 30 mètres de côté. C’est très peu et cela peut tout à fait être géré dans un pays aussi grand que le nôtre. Nous avons déjà construit et équipé une structure au cœur de la montagne, près de Krasnoïarsk, qui résiste même aux bombardements nucléaires. On peut stocker ici les déchets provenant du monde entier et on propose d’ailleurs depuis longtemps la création d’un centre international pour l’enterrement des déchets; les autorisés locales nous soutiennent mais il n’y a pas encore de loi. D’où notre proposition.
Pourtant, la plupart des experts s’accordent à dire qu’il n’existe pas de moyen vraiment fiable actuellement pour le stockage...
Faux. Les japonais savent très bien stocker leurs déchets, et ce malgré la petite taille de leur pays. Il existe un peu partout des techniques parfaitement au point. En fait le principe est de garder ces déchets dans des boîtes spéciales qui peuvent toujours être isolées et contrôlées. La tragédie du «Koursk» en a apporté la preuve puisque le réacteur nucléaire n’a pas souffert, quand bien même le sous-marin était détruit.

Ferme opposant à la nouvelle loi, Sergueï Mitrokhin est député à la Douma et membre du parti «Yabloko», présidé par Grigori Yavlinsky.

Est-il possible que le pays qui envoie ses déchets pour recyclage puisse refuser de reprendre ses produits?
C’est un risque majeur: l’amendement du ministère ne précise pas les règles qui obligent les fournisseurs de cette «précieuse matière première» à la reprendre! Donc n’importe quel pays voulant se débarrasser de ses déchets nous les enverra en prétextant les recycler. Et il nous les laissera!
Croyez-vous, comme certains spécialistes, que le combustible recyclé a une réelle valeur?
L’uranium recyclé est beaucoup plus toxique et agressif que la matière première d’origine. C’est pourquoi la plupart des pays développés ont refusé son recyclage et ont choisi la stratégie de l’enterrement. De plus on tablait sur 21 milliards de dollars d’entrées financières en 40 ans, durée du projet, mais l’analyse montre que ce n’est pas réaliste car l’entrée de la Russie sur ce marché va faire baisser les prix.
Comment les partisans du projet de loi comptent-ils utiliser l’argent de ces importations?
Le ministère propose 10 milliards et demi de dollars pour la création de structures industrielles de stockage et de recyclage, 3,3 milliards pour les impôts et 7,2 milliards pour régler les problème socio-économiques et écologiques qui découleront de ces activités. Mais le projet ne prévoit pas l’argent pour le démontage et la désactivation des installations, ni pour les cotisations à l’assurance des risques technologique et écologiques. Pour l’heure on est dans le flou total et le budget n’est absolument pas crédible: on ne sait par exemple pas du tout quels seront les pays avec lesquels nous travaillerons, ni pour quels volumes de déchets, donc de revenus. Par ailleurs, rien n’est prévu pour l’enterrement des déchets à moyen et bas rayonnement, qui vont pourtant augmenter de 7 fois leur volume actuel! Ces déchets, soit on les jette dans les réservoirs d’eau les plus proches, soit on les enterre selon les règles, mais cette 2e option n’a pas été prévue dans le projet. Par conséquent les seules solutions imaginées par le ministère sont: consciemment empoisonner le pays ou léguer le problème aux générations futures...

De notre correspondante à Moscou, Nathalie Doré