Comment la souricière s’est refermée sur NTV...
Avec le coup de force du consortium Gazprom sur la télévision indépendante NTV c’est tout le holding Média-MOST, propriété de Vladimir Goussinsky actuellement en exil en Espagne, qui s’est trouvé sous le contrôle du géant gazier. Les nouveaux patrons n’ont d’ailleurs pas tardé pour stopper la parution du journal «Sevodnia» et renvoyer à la rue l’équipe de rédaction du quotidien «Itogui». De son côté, le gouvernement affirme que le conflit était dû à une situation financière pénible entre les deux sociétés.
Dans sa campagne présidentielle, Vladimir Poutine a promis d’en finir avec l’équipe des oligarques qui ont pris le pouvoir dans le pays, mais force est de constater que pour l’instant le coup n’a été porté que sur ceux qui dirigent des sociétés de télévision ou de presse. De fait Goussinsky, en pariant sur Poutine, Louchkov et Primakov lors de la campagne présidentielle, était condamné.
Pour financer son expansion Goussinsky a fait appel à un investisseur puissant, le consortium Gazprom. En hypothéquant des actions de sa société il a contracté de gros emprunts. Pour faire une arme de cette situation, le pouvoir politique a appelé Alfred Koch, un homme qui avait été écarté du poste de dirigeant du service responsable des privatisations après qu’NTV ait parlé de lui en d’assez mauvais termes.
Koch lui-même ne cache pas qu’il a été nommé en juin 2000 à la tête du holding Gazprom-Média avec pour mission de prendre tout le contrôle de NTV. Trois jours après cette nomination Goussinsky était arrêté et placé en garde à vue, d’où il a été étonnamment rapidement libéré avant de prendre la fuite à l’étranger. Tout ça dans la plus grande discrétion bien sûr.
Le drap qui recouvrait toute l’affaire est finalement tombé lorsqu’on a dévoilé le protocole secret qui stipulait que Goussinsky renonçait au contrôle de Média-MOST, en échange de l’occasion de quitter librement le pays. Les signataires de cet accord étaient Koch et le ministre de la presse Mikhaïl Lessine.
Mais il fallait encore résoudre le problème de la dette et en novembre tout le monde s’est mis d’accord sur le fait que Gazprom, qui détenait 30% des actions de NTV, en recevrait encore 16% et la quantité décisive de 25% plus une action dans les autres sociétés de Média-MOST. Le 3 avril dernier Koch, en bafouant les statuts de la chaîne de télévision, a convoqué une assemblée des actionnaires, au cours de laquelle un nouveau conseil d’administration a été élu, sans Goussinsky et avec Boris Jordan, un américain d’origine russe, comme directeur général de la société.
Cette décision a été immédiatement dénoncée à la justice par les opposants à ces mesures et des dizaines de milliers de Moscovites se sont rassemblés à Ostankino, la tour de télévision, afin d’exprimer leur soutien à l’équipe de NTV. Les journalistes et les techniciens ont décidés de tenir les locaux de la télévision jusqu’à la victoire. Le président Poutine a alors déclaré que l’affaire devra être éclaircie au tribunal, ce qui a insufflé un peu d’espoir à l’équipe de NTV. Pour la première fois, après le 3 avril, on a réduit la garde, annulé les veilles permanentes de sécurité de l’équipe des journalistes et de l’équipe technique. C’est alors que les gardes de Jordan ont pris le contrôle de la chaîne manu militari.
Et la souricière a fait «click»...
Igor V. Sedykh et Mikhaïl W. Ramseier