Un pingouin si attachant
Il est dommage qu’outre le génie inaltérable de Dostoïevski, la prose méticuleuse de Tchékhov, la puissance de Tolstoï ou la poésie de Tourgueniev, le lecteur occidental moyen ignore tout de la littérature russe contemporaine.
Pourtant Alexeï Slapovski, Viktor Pelevine, Sergueï Kalidine ou Mark Kharitonov sont au-jourd’hui traduits dans la langue de Molière et permettent d’aborder la grande Russie dans son actuelle modernité.
Avec «Le Pingouin», Andreï Kourkov, 40 ans et né à St-Pétersbourg, offre un savoureux mélange d’humour et d’originalité. Tour à tour peintre d’une fresque sordide retraçant la vie quotidienne en Union Soviétique, chantre d’une Russie indestructible ou chroniqueur de faits divers touchant la mafia, Kourkov raconte une histoire invraisemblable et pourtant si réelle...
Viktor Zolotarev, qui a adopté un pingouin pour tromper sa solitude, tente vainement de trouver suffisamment d’inspiration pour écrire un récit et se lancer dans la littérature. Il finit par obtenir le salut en la personne d’un rédacteur en chef de revue qui l’engage afin de rédiger des nécrologies à tendance philosophique.
Malgré l’étrangeté de la proposition – précisons que les textes sont faits à l’avance et concernent des personnes encore bien vivantes – le héros semble évoluer à l’aise dans cette nouvelle voie.
Adopté du zoo de Kiev, en plein démantèlement par manque d’argent, le pingouin Micha, quant à lui, s’avère être aussi intelligent que neurasthénique. Zolotarev, qui l’a accueilli parce qu’il en avait assez des femmes «extra-terrestres» qui partageaient sa vie et finissaient par partir sans raison, s’attache à lui et s’en occupe comme d’un indispensable compagnon. Il héritera aussi de la petite Sonia, laissée un jour chez lui par un drôle d’ami insaisissable.
Dès lors le héros, devenu également copain d’un flic amateur de cognac et amoureux de son pingouin, perdra sa tristesse et sa solitude au fil des pages.
Des personnages hauts en couleurs, une plume drôle et une intrigue captivante, sans parti-pris ni politique, font de ce livre un incontournable voyage dans un monde très actuel hérité de l’époque soviétique.
Le Pingouin, Editions Liana Levi, Paris, 2000. Traduit du russe par Nathalie Amargier.